1. Nous dont la lampe, le matin,
Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu'un salaire incertain
Ramène avant l'aube à l'enclume,
Nous qui des bras, des pieds, des mains,
De tout le corps luttons sans cesse,
Sans abriter nos lendemains
Contre le froid de la vieillesse.
Aimons-nous, et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons, buvons, buvons
À l'indépendance du monde !
2. Nos bras sans relâche tendus
Aux flots jaloux, au sol avare
Ravissent leurs trésors perdus
Ce qui nourrit et ce qui pare
Perles, diamants et métaux
Fruit du coteau, grain de la plaine
Pauvres moutons, quels bons manteaux
Ils se tissent avec notre laine !
3. Quel fruit tirons-nous du labeur
Qui courbe nos maigres échines ?
Où vont les flots de nos sueurs ?
Nous ne sommes que des machines
Nos Babels montent jusqu'au ciel
La terre nous doit ses merveilles
Dès qu'elles ont fini le miel
Le maître chasse les abeilles
4. Au fils chétif d'un étranger
Nos femmes tendent leurs mamelles
Et lui, plus tard, croit déroger
En daignant s'asseoir auprès d'elles
De nos jours, le droit du seigneur
Pèse sur nous plus despotique
Nos filles vendent leur honneur
Aux derniers courtauds de boutique
5. Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres
Nous vivons avec les hiboux
Et les larrons amis des ombres
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines
Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes
6. À chaque fois que par torrents
Notre sang coule sur le Monde
C'est toujours pour quelques tyrans
Que cette rosée est féconde
Ménageons-le dorénavant
L'amour est plus fort que la guerre
En attendant qu'un meilleur vent
Souffle du ciel ou de la terre