1. Dans la soupente du portier,
Je naquis au rez-de-chaussée.
Par tous les laquais du quartier
À quinze ans je fus pourchassée.
Mais bientôt un jeune seigneur
M'enlève à leur doux caquetage.
Ma vertu me vaut cet honneur,
Ma vertu me vaut cet honneur !
Et je monte au premier étage,
Et je monte au premier étage !
2. Là, dans un riche appartement,
Mes mains deviennent des plus blanches.
Grâce à l'or de mon jeune amant,
Là, tous mes jours sont des dimanches.
Mais, par trop d'amour emporté,
Il meurt ! Ah ! pour moi quel beuvrage !
Mes pleurs respectent ma beauté ;
Et je monte au deuxième étage.
3. Là, je trompe un vieux duc et pair
Dont le neveu touche mon âme :
Ils ont d'un feu payé bien cher,
L'un la cendre, et l'autre, la flamme.
Vient un danseur ; nouveaux amours !
La noblesse alors déménage.
Mon miroir me sourit toujours ;
Et je monte au troisième étage.
4. Là, je plume un bon gros Anglais,
Qui me croit et veuve et baronne ;
Puis deux financiers vieux et laids ;
Même un prélat, Dieu me pardonne !
Mais un escroc que je chéris
Me vole en parlant mariage.
Je perds tout ; j'ai des cheveux gris,
Et je monte encore un étage.
5. Au quatrième, autre métier :
Des nièces me sont nécessaires ;
Nous scandalisons le quartier,
Nous nous moquons des commissaires.
Mangeant mon pain à la vapeur,
Des plaisirs je fais le ménage.
Trop vieille enfin, je leur fais peur,
Et je monte au cinquième étage.
6. Dans la mansarde me voilà,
Me voilà, pauvre balayeuse,
Seule et sans feu, je finis là
Ma vie, au printemps si joyeuse.
Je conte à mes voisins surpris
Ma fortune à différents âges,
Et j'en trouve encor les débris
Et balayant les cinq étages.