1. Viv'nt la joie et les pomm's de terre !
Viv'nt les carott's et les p'tits pois !
J'viens d'accompagner ma bell'-mère,
Et c'est pour la dernière fois.
Quand j'pens' qu'elle est enfin partie,
J'ai besoin d'danser sur l'trottoir,
Je n'verrai plus sa peau jaunie
Comme un morceau d'cuir à rasoir !
J'suis si content, qu'en m'regardant
Tout l'mond' dit : C'est étonnant !
Mais quéqu' ça peut bien être ?
Un échappé d'Bicêtre ?
Un autr' répond : Moi, j'vous dis qu'non,
C'est un échappé d'Charenton !
Et moi j'leur dis, d'un' voix sévère :
Vous avez d'vant les yeux
Un garçon bien heureux
Qui vient d'enterrer sa bell'mère !
2. Elle était gracieuse, avenant
Comme une porte de prison,
Et pendant vingt-neuf jours sur trente
Ell' faisait l'diable à la maison.
Souvent, ell' me disait : Mon gendre,
Vous ne valez pas, entre nous,
Un bout d'corde à puits pour vous pendre,
En ma fill' ne vaut pas mieux qu'vous !
3. Sous prétext' qu'elle était malade
Fallait lui donner du biscuit,
D'l'huile de ricin, d'la limonade,
Puis la veiller toute la nuit ;
À chaque instant sa voix d'crécelle
Me disait d'un p'tit ton moqueur :
Mon gendre, allumez la chandelle
Et passez-moi l'irrigateur.
4. Farci' d'une graisse illusoire
Elle était dodu' comme un clou,
Sa vieille face en écumoire
Rappelait celle d'un hibou,
Sa bouche était une grimace,
Ses mâchoir's étaient en congé,
Et son nez piquait la carcasse
De son menton endommagé.
5. Elle était bancale et bossue,
Elle était sourde comme un pot.
Quand je la prom'nais dans la rue
On m'appelait l'homme au magot ;
Son crâne formait la gouttière,
Elle avait d'la barbe au menton,
Sa gorg' sifflait comm' la chaudière
Du bateau-mouche de Charenton.
