La chanson des cols bleus - Chants populaires de la flotte française - Chants de marins

1. J'aime à voir dans le cadre
Des cieux bien étoilés
Notre superbe escadre
Aux croiseaux non voilés.
En naviguant sans brise,
Elle est, sous ses fanaux,
Plus belle que Venise
Embrasant ses canaux.

2. A l'avant, sur les plages,
Par les fortes chaleurs,
Les chants de nos villages
Sont tous repris en choeurs.
Et, par les nuits sereines,
Ces airs gaîment chantés
Chassent toutes les peines
Des marins attristés.

3. Car l'un pense à la belle
Qui, le jour du retour
Ne sera pas rebelle
A son coeur plein d'amour.
Et l'autre à son vieux père,
A sa femme, à ses gas,
Qu'avec joie il espère
Bientôt revoir là-bas.

Nous aimons la vie qu'on mène
A bord des grands cuirassés
Si l'premier jour de la s'maine
Nous bourlinguons, harassés
Y a p'têtr' cett' raison majeure
D'avoir tout l'dimanche bringué,
Avec un' petite majeure
Dont not' corps est fatigué.

Quand notre grosse flotte
Est en rade le soir
Et que la mer clapote
Au-dessous du bossoir,
Lorsque la nuit est belle,
Le matelot de quart
Pense à l'heure cruelle
De son triste départ.

Quand l'chauffeur ou l'mécanicien
Part sérvir dans la Flotte,
Il prend, en quittant son pat'lin
Souvent une bonne culotte

Quand l'gait marin descend à terre,
Son sac su' l'dos et l'bidon plein,
Pendant la prom'nade militaire
Il aime à chanter su' l'chemin

Allez mes vieux, pendant l'pas d'route,
Faut yaller chacun d'sa chanson
Devant l'terrien qui nous écoute
Enl'vons nos r'frains à l'unisson
Montrons qu'sur nos bâtiments d'guerre
Chacun d'nous a son coeur qui bat.

Nos belles escadres sont en c'moment ancrées
Toutes réunies dans la rade de Cherbourg.
Sur son eau calme elles y sont admirées
Par le terrien d'la ville et du faubourd.

Gervais, c'est un zig d'amiral
Pour les matelots en général.
Il est grand, jeune et bien d'aplomb
C'est un lapin qui n'craint pas l'plomb !

Buvons à la santé d'Gervais
Not' premier verre !
Puis après nous en boirons deux
A la santé des amoureux.

Venez, terriens, voir notre escadre
Qui brille avec ses listons d'or,
Et sa flotille qui l'encadre
Pour lui faire un mouvant décor.
A nos pavillons qu'on déploie
Et qui tantôt flottaient au vent,
A succédé, pour votre joie,
Ce soir, un éclairage ardent.

Mon jeun' fiancé va quitter la Bretagne,
Pour embarquer sur l'escadr' de Toulon,
J's'rai bien heureuse quand j's'rai sa p'tite compagne,
Car, seule, ici, j'vas trouver l'temps bien long !...

Quand sous l'coup d'huit heures du matin,
Not' pavillon monte à la corne,
Et qu'flottant dans l'ciel pur, il orne
Notre arrière en pays lointain.

C'est aujourd'hui que nous partons pour France
La gaité règne à bord du bâtiment,
Car l'équipage à la douce espérance
Qu'il va rentrer au pays promptement.

Quand l'pauv' Jean s'en r'vint du Tonkin
Un' vall' dans l'bras, un' jambe en moins,
Avec six-cent francs d'retraite
Et la crois posée sur son coeur,
L'pauv' bougr' n'avait pas l'air vainqueur.

Il est parti, mon bien-aimé
Pour ses trente mois de campagne
Et mon coeur, autrefois pâmé,
Sent un noir chagrin qui le gagne.

Lorsqu'à Brest on débarque à terre
Pour bringuer ou fair' du tam-tam,
On soiff' toujours son premier verre
Dans un caboulot d'la rue d'Siam.
Mais l'débit qu'à la préférence
Du mat'lot quand il est flambard,
C'est celui dont on parl' loint d'France
Et qu'à pour enseigne : Au canard !

Débitante, gargotière, hôtesse,
Au canard, la brave mèr' Prigent
Est pour nous tous une bonne bougresse
Qui nous en fout pour notre argent.

Maint'nant qu' dans not' vieill' Bretagne,
Me v'là d'nouveau débarqué,
Avec l'argent d'la campagne,
Que l'commissair' m'a casqué
J'vas m'payer des gueul'tons chouettes
Et me r'taper la santé
Par des biscuits en mouillettes
Dans du vieux bordeaux cach'té.

Quand il a quitté son village,
Sa grande ville ou son vieux port,
Et qu'en vagon, seul, il voyage
Pour venir s'embarquer à bord

En soixante-dix, pendant la guerre,
Lorsqu'à treize ans, j'partis pour Brest,
Laissant chez nous beaucoup d'misère,
Voici c'qu'en faisant route à l'Ouest,
Tout p'tit moussaillon,
J'pensais en vagon :

Lorsqu'un bon vent gonfle nos voiles,
A l'avant, chantons, réunis,
Sous la lune et sous les étoiles,
La France notre beau pays.

Sur notre croiseur loin de France
Nous aims à chanter, le soir,
Notre beau pays de Provence
Que nous désirons tous revoir.
Car sous la croix du Sud qui brille
Dans le ciel bleu tout étoile,
Nous rêvons de sa brune fille
A qui notre coeur a parlé.

La bon matelot que j'aimais
Nous ne le verrons plus jamais,
Car il va reposer, hélas ! en paix
Désormais,
Solitaire,
Sous la terre.

J'ai voulu r'voir ma Magicienne,
La dernière fois que j'fus à Brest :
Elle est à présent bien ancienne
Et n'a qu'des jeunes marsouins pour lest :
Le sixième d'infanterie d'marine
Consigne' ses hommes punis à bord
Ma frégat' qu'avait si bonne mine
N'est plus qu'un vieux ponton du port.

La flamme blanche avec une croix rouge
Flotte à la corne de l'artimon.
Sur la vieille Bretagne, nul ne bouge
s L'soleil brille aux volées d'canons...

Le soleil se lève
L'quart du jour s'achève,
Dans son hamac, rêve
L'homme non d'quart qui dort.

Notre escadre est appareillée,
En lign' de fil' dans l'goulet d'Brest.
Longeant la côte ensoleillée,
Les cuirassés ont l'cap à l'Ouest.