La qualité des harmonisations de chansons modernes
25 août 2014
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Jean-Baptiste
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Harmoniser, c'est un métier
J'aimerais aujourd'hui parler d'un sujet essentiel dans le milieu choral, j'aimerais évoquer la qualité des
harmonisations des chansons de variété, principalement modernes, qui circulent depuis les années 70. Je ne mâcherai pas mes mots, et, à la
limite, je poussera même un coup de gueule, bien que cela ne me ressemble pas. À de très rares exceptions, ces harmonisations sont d'une qualité
déplorable, autant au niveau graphique, qu'au niveau musical. Qu'est-ce qui me permet d'affirmer ceci ? Lorsque l'on a travaillé pendant de nombreuses
heures et de nombreuses années l'harmonie tonale, l'harmonie modale et le contrepoint, ça ne fait pas forcément de nous un expert en la matière mais
on peut repérer à cent mètres à la ronde quelqu'un qui écrit la musique sans l'avoir appris et si j'ai bien retenu quelque chose de mes professeurs
de conservatoire, c'est qu'écrire la musique (sous-entendu harmoniser), ça s'apprend.
Je ne citerai aucun nom ni aucun éditeur dans cet article, ne souhaitant froisser personne. Les personnalités dont je
parle ici sont, à mon avis, d'assez bon musiciens, de très bons chefs de choeur qui ont fait leurs preuves dans ce domaine et c'est la raison pour
laquelle on ne trouve jamais d'incongruité dans leurs partitions, comme des notes beaucoup trop aigües ou trop graves, des paroles imprononçables,
sauf exceptions et j'en ai croisées, mais qui n'ont jamais appris l'harmonie, ce qui est dommage quand on harmonise. Fait intéressant à propos des hauteurs
de notes, plus on avance dans le temps, moins ils osent écrire dans le registre aigu des sopranos. Un mi aigu est déjà un gros risque. Que c'est triste....!
Sans être musicien professionnel, tout le monde peut repérer une partition écrite bien trop vite avec du texte manquant, des
fautes d'orthographe, des mots qui se chevauchent, des mesures manquantes, des signes et des codas à n'en plus finir rendant l'ensemble incompréhensible. Que de
temps perdu en répétition et quel manque de respect pour les clients !
Des exemples
Je ne vais pas parler dans le vide. Je vais m'appuyer sur cinq extraits de partitions de chants de variété, couvrant
quarante années d'édition. J'analyserai les fautes parfaitement inadmissibles de ces écrits que la meilleure des chorales n'arrivera jamais à
faire sonner. Car apprendre à écrire la musique c'est apprendre à mettre en valeur les sons, à ne pas en doubler certains, à ne pas placer les accords
dans n'importe quelle position, à ne pas déplacer les notes n'importe comment. Je ne vais pas hésiter à être un peu technique.
L'hymne à l'amour
Dans cet extrait, tout le monde peut remarquer au premier coup d'oeil que des mesures sont écrites à 5/4 ! (avec un 4/4 à la clef) pour deux des
voix sur quatre, pour une musique que chacun connaît et qui est clairement binaire. L'harmonisateur n'a pas su repérer que les deux permières notes
"J'irais" étaient en levée. Les deux petits traits en fin de mesure n'y changent rien du tout.
La basse nous fait une pédale sur do. Ah non. S'il y a une pédale à faire sur le do, elle ne peut pas être la basse, sauf en cadence.
La doublure alto / ténor est-elle nécessaire ? 1) Dans l'aigu, les ténors couvrent les altos. 2) On se retrouve, aux autres parties, avec des accords incomplets.
La descente chromatique a bien sûr sa place à la basse, pas dans les parties intermédiaires.
Exodus
Des erreurs de débutant jallonent l'intégralité de l'harmonisation de ce chant magnifique.
Mib à la basse, la tierce de l'accord pour commencer cette phrase musicale ? Non, certainement pas.
Jolies quintes parallèles entre basse et chant.
Les ténors passent au dessus des altos puis des sopranos.
Accords de sixte et quarte pour finir la phrase.
Je passe les détails...
Et maintenant
L'harmonisateur a choisi quatre accords en guise d'introduction pour ce chant de Gilbert Bécaud. Soit. C'est une bonne idée mais...
On commencera par un accord à l'état fondamental pour plus de force.
On ne le fera pas suivre d'un accord de sixte et quarte.
Les deux derniers accords gagneront aussi à être à l'état fondamental (chiffrage 5) ou de premier renversement (chiffrage 6).
Ce qui donne, une fois réécrit, tout en gardant la partie chant identique :
Le monde est beau
Un petit chant sans prétention de Oldelaf. Tant qu'il est chanté à une voix avec guitare et batterie, l'harmonie n'a qu'une place secondaire
et tout le monde est d'accord avec ça, personne ne demande aux chanteurs de variété de faire de longues études de musique mais lorsqu'on passe
à 4 voix, c'est une autre affaire.
Un musicien amateur peut remarquer la différence entre les notes de la basse et les accords. Quand on a l'accord Gm/Bb, cela signifie que la
basse a un Sib. Dans les faits, ce n'est pas le cas. C'est curieux.
Sixte et quarte toujours à éviter hors cadence.
4ème mesure, il ne s'agit pas d'un accord de Mib7 mais d'une sixte augmentée (6+). Donc, pas de réb mais Do#. C'est un peu technique, je l'avoue, ce
n'est pas le plus grave.
4ème mesure toujours. Le mouvement des altos est très très laid et si le réb est une septième, il n'est pas censé monter.
Juste pour me souvenir
Je termine avec un chant plutôt récent. Il est assez simple à harmoniser, il n'y a pas de difficulté. Pourtant rien ne colle dans ce travail.
Première mesure ok. Ouf. Mais dès la deuxième, deux horribles quintes parallèles avec septième qui monte, qui font dresser les cheveux sur la tête.
C'est le moment de mettre un joli mouvement à la basse, presque obligatoire : sib - do - ré.
Quatrième mesure. Si on a affaire à un accord de fa, il faut m'expliquer le mouvement de la basse fa - mib - fa car je ne le comprends pas. Il est
peut-être là pour être sûr que toutes les parties sont en parallèlisme intégral !
J'en passe et des meilleures. Je pourrais multiplier les exemples à l'infini mais quel est le but de cet article ? Je suis étonné
que les artistes acceptent que leurs créations soient massacrées de la sorte mais ça, je ne peux rien y faire. J'aimerais mettre en garde les chorales. Je leur
dis attention ! On se moque de vous. Les droits d'harmonisation de chansons non libres de droit coûtent chers ainsi, seules quelques "boîtes" peuvent se le permettre
car ils savent qu'ils auront des gros volumes de vente. Ainsi, les harmonisateurs sont toujours les mêmes et les travaux proposés sont toujours de qualité
inquiétante. Ne faites pas confiance à un éditeur de musique seulement sur sa célébrité ; demandez l'avis d'un musicien (si possible harmoniste), fouillez,
allez chercher des plus anciennes harmonisations, variez les styles car il n'y aura pas ce genre de problème avec le classique et très peu avec les chants
traditionnels.