Vous connaissez tous la série Kaamelott, diffusée sur M6. La musique y
est très présente, Alexandre Astier, son créateur étant très musicien lui-même. L'auteur assume, au delà du langage choisi, un anachronisme permanent. Il y
a hésitation constante entre 5ème siècle, époque de l'origine de la légende arthurienne et le 12ème siècle, celui dans le lequel Chrétien
de Troyes replace les héros de la table ronde. L'empire romain est en pleine décadence mais les chevaliers sont en armure, possèdent des armes offensives
sophistiquées et vivent dans des châteaux en pierre de plusieurs étages. Cela fait le charme de la série. La musique ne fait pas exception. En dehors des tubes
Belle qui tiens ma vie et À la volette qui sont postérieures au Moyen Âge, l'épisode suivant, La quinte juste unique en
son genre développe un point très important de la musique en utilisant la caricature et qui, là encore, hésite entre le début et le milieu du Moyen
Âge. Il n'est pas forcément si facile d'accès au non musicien et je vous propose une explication et vulgarisation :
Vidéo
La vidéo complète de l'épisode n'est pas disponible sur internet, ce qui est tout à fait normal. Je vous conseille l'achat des DVD.
En attendant, en voici un très court extrait, un simple citation :
Transcription des dialogues
(Arthur) - Est-ce que c'est bien l'heure pour taper la chansonnette, là ? (Bohort) - Il n'y a pas d'heure pour chanter, c'est une excellente idée, père Blaise. (Père Blaise) - Ne vous inquiétez pas, ça ne sera pas long. Bohort, une basse s'il vous plaît. (Bohort) - Oh... (Père Blaise) - Parfait. Donc, sire, vous allez chanter la même note que Bohort. (Ensemble) - Oh... (Père Blaise) - Très bien, c'est ce qu'on appelle un... ? (Bohort) - Unisson. (Père Blaise) - Bravo. Maintenant sire, vous allez passer de l'unisson à la quarte inférieure. (Ensemble) - Oh... (Père Blaise) - Très bien, maintenant même chose avec la quinte. (Ensemble) - Oh... (Père Blaise) - Voilà, c'est tout c'qu'il y a : unisson, quarte, quinte et c'est marre. Tous les autres intervalles, c'est de la merde !
Le prochain que je chope en train de siffler un intervalle païen, je fais un rapport au pape ! Et tous les gratte-caisse, là,
sur le marché aux bêtes avec leur crin-crin pourri. Et j'te mets d'la tierce, de la sixte. Mais oh, là ! Ils se prennent pour qui ?
Moi ça me bousille les esgourdes les sixtes. Je suis déjà à moitié sourd. (Arthur) - Et si vous arrêtiez de gueuler un peu ? (Bohort) - Mais enfin père Blaise, je ne comprends pas. Qu'est-ce que vous avez contre les tierces ? (Père Blaise) - Ça me fait gerber ! (Bohort) - Sire, faites une tierce. (Père Blaise) - Ah non, non, non. Vous faites une tierce, je m'tire ! (Arthur) - Majeure ou mineure ? (Père Blaise) - Mais qu'est-ce que c'est ces conneries, là, majeur, mineur ? Mais c'est pour les dégénérés. Y a un seul truc de valable : c'est
juste, juste, juste, juste, juste et ju-juste ! (Bohort) - Mineure. (Ensemble) - Oh... (Père Blaise) - Ah mais arrêtez, je vais me mettre à dégobiller sur la table ronde. Bohort, vous faites une pédale sur Dies Irae. (Bohort) - Di-es I-rae. (Père Blaise) - Et là vous sire, vous reprenez à la quinte juste. (Ensemble) - Di-es I-rae. (Père Blaise) - Voilà... Là c'est propre, c'est harmonieux. (Bohort) - Oui mais avec quelques fioritures, on passe très rapidement sur une petit sixte et c'est joli. (Père Blaise) - Et c'est de la merde ! (Bohort) - Sire, une petite variation. (Ensemble) - Di-es I-rae. (Père Blaise) - Mais vous êtes des malades ! Je vous préviens. Si on n'mets pas le holà tout de suite, dans dix ans tout le répertoire musical est pollué. (Bohort) - Il faut plutôt voir ça comme une évolution. (Père Blaise) - Il faut interdire les intervalles non justes, c'est tout ! (Bohort) - Sire, qu'est-ce que vous en pensez ? (Arthur) - Ben... moi, pour commencer, j'en ai pas grand chose à carrer. Sinon, moi, toujours des quartes, des quintes, des octaves, ça a un peu tendance
à me glonfler d'autant que je supporte très bien les tierces et renversements de tierces et j'vais même dire, un petit intervalle diminué de temps
en temps... (Père Blaise) - Diminué, mais qu'est-ce que c'est que cette horreur ? (Arthur) - Bohort, une pédale ? Enfin, j'veux dire... (Bohort) - Y a pas d'mal. (Ensemble) - Oh... (Père Blaise) - DIABOLUS !
Analyse
Un bref rappel sur la notion d'intervalle : L'intervalle est l'écart entre deux notes de musique. Ce qui nous intéressera
ici c'est l'intervalle entre deux notes chantées simultanément. Certains intervalles
sonnent très bien à nos oreilles, en eux-mêmes. On les appelle consonants. D'autres sont plus rèches à l'oreille et d'autres encore sont dissonants. Pour
les oreilles des hommes du 16ème au 21ème siècles, les seuls intervalles consonants sont l'unisson, la tierce, la sixte et
l'octave (même note plus aiguë ou plus grave, équivalent de l'unisson).
Mais il en va tout autrement des oreilles du Moyen Âge qui entendaient les intervalles de quartes et de quintes
comme consonants. Tout le sketch est basé là-dessus.
Rentrons maintenant un peu dans l'histoire de la musique. Que sait-on ? Pas grand chose de la musique profane de l'époque.
On connaît beaucoup mieux (avec toutefois de grosses zones d'incertitudes) la musique religieuse. La musique que l'on nomme Chant Grégorien (ou Plain-Chant)
est à une voix (monodique). Celle la seule qui soit pratiquée à l'église et au monastère. La notion d'intervalles superposés n'a donc pas encore d'importance.
Plus tard, appelés par le besoin instinctif de créer, des compositeurs se sont mis à inventer une deuxième voix, proche de la principale mais à la quarte. Puis
celle-ci s'est mise à broder sur la mélodie, créant inévitablement des intervalles de passage de tierces et de sixtes, dissonants aux oreilles de nos ancêtres
médiévaux mais sur lesquels on ne s'attardaient pas. Les choses évolueront encore avec une troisième voix, puis une quatrième et une cinquième mais là n'est pas
le propos. Le problème sera soulevée de nombreuses fois par la papauté qui s'inquiétait, non pas de la présence d'intervalles dissonants mais de la polyphonie,
outrage à la pureté originelle du plain-chant et obstacle à la compréhension du texte. Ces débats dureront jusqu'à la Renaissance.
L'intervalle diminué dont il est question dans l'épisode est celui de quinte diminuée (ou quarte augmentée ou encore triton).
Cet intervalle a été fui pendant tout le Moyen Âge, représentant l'archétype du mauvais goût. Il était tout simplement interdit. L'église le nommait
Diabolus in musica, d'où la réaction du père Blaise.
Merci à Alexandre Astier pour son travail de qualité. Big fan !
Merci beaucoup ! Ce résumé m'a servi pour un devoir de musique et j'en suis très satisfaite. Merci beaucoup!!
Webmaster le 2015-08-31 à 09h32
Léonard le 2015-01-03 à 17h12
Merci, c'est très instructif.
paulinehhh le 2014-12-14 à 20h09
Merci pour l'explication . Et ça donne envie de regarder d'autres épisodes de Kaamelott.
Avec peut-être des explications?
Keith Braithwaite le 2014-12-14 à 14h42
Cette épisode m'a tué quand je l'ai vu pour la première fois. Bonne idée de l'expliquer dans les détails. Merci pour ça et merci pour toutes les partitions. Passez de bonnes fêtes de fin d'année
Pixelline le 2014-12-11 à 21h56
Merci pour ce cours d'histoire de la musique , avec la documentation vivante et actuelle.
Très belle archive du Moyen Age.....
J'attens le prochain cours
@bientôt
Saxovacon le 2014-12-06 à 07h47
Je n'avais jamais regardé kaamelott je vais peut être revoir ma décision parce que c'est très pédagogique.
mayabis le 2014-12-04 à 03h47
Merveilleux ... Les choses se mettent en place et tout semble lumineux !
Les agrégés seraient donc AUSSI de bons pédagogues ? Encore une bonne nouvelle ... (humour !)
La notion de "dissonnant" est donc subjective ... mon prof d'harmonie s'était contenté d'un "juste" opposé à "majeure" ou"mineure" ... sans parler de "diminuée" ni "augmentée" .. Et ce fameux "triton"...
Merci pour cet article passionnant ...
Et ce gros travail de recherche avec une vidéo à nepas laisser passer ! "Priceless !..."
"Once a teacher ..."
Amicalement